Production

La préoccupation la plus urgente a trait à la stagnation de la production qui retarde l’intégration régionale sur tout le continent. L’on devrait y remédier en améliorant les réseaux régionaux de production et de commerce à travers l’amélioration stratégique des capacités de production, de distribution et de commercialisation des pays de manière à instaurer une complémentarité entre les capacités de chaque pays. Une meilleure coopération transfrontalière entre les acteurs publics et privés devrait fort probablement garantir le succès de cette initiative. Certains pays ont encore besoin de se faire une place dans les chaînes régionales de produits de base et de valeur ; d’autres doivent affermir leurs bases afin de conserver leur position. Des solutions gagnant-gagnant peuvent être trouvées.

Chaînes de valeur

Que faut-il faire à l’avenir ? Concrètement, il reste encore beaucoup à faire pour explorer les opportunités de renforcement des cadres régionaux de chaînes de valeur dans différents secteurs. De plus, l’utilisation d’une meilleure technologie, d’intrants de meilleure qualité et de techniques de commercialisation actualisées permettra de lever bien des obstacles. Maintenant que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est entrée dans sa phase opérationnelle, l’on s’attend à un accroissement de la production et des exportations. Toutefois, pour promouvoir une croissance qui ne soit pas éphémère, les décisions concernant la production doivent reposer sur des bases solides et s’inscrire dans le long terme ; elles doivent intégrer des techniques et technologies de pointe et être tournées vers l’avenir. 

Il ne faudrait pas occulter le fait que les barrières non tarifaires constituent un défi majeur pour la mise en œuvre complète des accords régionaux de commerce et de la ZLECAf : des solutions doivent y être trouvées. Les chargés de la planification au niveau national doivent, en outre, encourager et insister sur la nécessité d’un investissement continu dans la recherche et le développement. 

Les personnes

Les chaînes de valeur mondiales ne fonctionnent pas sans intervention humaine. Le continent doit puiser dans son riche vivrier de travailleurs en identifiant les déficits en compétences et en élaborant des programmes transfrontaliers de renforcement des capacités. Simplement dit, la portée des avantages que les pays et les régions tireront des chaînes de valeur régionales et mondiales dépendra des compétences de leurs populations et, plus particulièrement, du degré de concordance entre les compétences des travailleurs et les technologies et compétences productives d’aujourd’hui et de demain. 

De récentes études montrent que le succès de tout secteur de l’économie mondiale passe obligatoirement par des compétences cognitives telles que la lecture, l’écriture et le calcul, et la résolution des problèmes. De telles connaissances transférables préservent les populations d’impacts sociaux négatifs parfois occasionnés par l’introduction de chaînes de valeur mondiales. 

La production mondiale devrait se fragmenter et se sophistiquer de plus en plus, d’où une nécessité accrue pour les décideurs de poursuivre le développement de compétences adaptables aux exigences d’un marché du travail en évolution.

L’infrastructure

Après que les décideurs auront levé les obstacles à la dimension productive de l’intégration régionale, il leur faudra, en second lieu, remédier au déficit d’infrastructures sur le continent. 

Si rien n’est fait pour combler les besoins en infrastructures de l’Afrique, l’intégration économique et sociale régionale en pâtira lourdement. Sans infrastructures adéquates, pas de livraison de matières premières aux usines, pas de production, pas d’acheminement de biens aux consommateurs et pas de prospérité des activités commerciales et financières, ni au niveau interne ni au niveau transfrontalier. Une logistique fonctionnelle et des infrastructures de transport opérationnelles sont absolument nécessaires pour dégrouper la production à partir des frontières nationales. Les investissements étrangers directs affluent vers les contrées qui offrent des avantages en termes de coût ; des infrastructures en mauvais état sont un facteur très dissuasif. 

De plus, pour faire fonctionner une société moderne, il faut un approvisionnement stable d’une large gamme de services tributaires des infrastructures, qui améliorent la qualité de vie. Ces services sont le socle du bien-être social, de normes de santé et de sécurité acceptables, et d’un environnement décent. 

En somme, le manque d’infrastructures adéquates présage d’un sombre avenir, tant au plan économique que social.

L’une des clés pour un développement économique et social solide réside dans la planification à long terme et coordonnée de la mise en place et de l’entretien d’une infrastructure et d’une logistique régionales de base. Toutefois, la mise en place et l’entretien d’infrastructures sont coûteux ; l’accroissement de la demande d’infrastructures met les budgets des États en grande difficulté. Dans de nombreux pays en développement, les finances publiques sont englouties par des poussées démographiques telles que l’urbanisation, l’accroissement des populations et les migrations. Les coûts de maintien de la paix et de la sécurité créent également des pressions financières.

Pour s’en sortir, les décideurs doivent rechercher des approches novatrices de financement des infrastructures. Certains pays sont certes déjà familiers de la manière d’impliquer le secteur privé, mais le recours à des variantes de partenariats public-privé innovantes pourrait attirer des capitaux et expertises additionnels. Parmi les autres pistes, les caisses de retraite et les marchés d’assurance représentent des sources prometteuses de financement de projets à faible risque.

Il faut néanmoins savoir que l’amélioration de l’accès au financement ne résout pas le problème d’insuffisance d’infrastructures intégrées. La passation des marchés et les constructions devraient désormais être soumises à une concurrence rigoureuse, et il faudrait instaurer plus de transparence à toutes les étapes d’un projet. Les cadres juridiques et réglementaires devront être revus et des systèmes efficaces de gestion de la demande d’infrastructures mis en place pour assurer un approvisionnement stable des services et des produits, ce qui permettra de mieux atténuer l’usure et d’être préparés aux aléas, tels que les catastrophes naturelles ou celles découlant d’activités humaines. Naturellement, les acteurs devront également s’investir dans les nouvelles technologies et adopter des stratégies de gestion novatrices.

L’intégration commerciale

En matière d’intégration régionale, l’intégration productive et celle des infrastructures sont étroitement liées. En améliorant l’une, l’on améliore l’autre. La prise de mesures correctives concernant ces deux dimensions sera très bénéfique pour l’intégration commerciale. 

Cependant, ne compter que sur l’intégration productive et celle d’infrastructures pour améliorer l’intégration commerciale serait une erreur. C’est pour cette raison que la troisième recommandation de l’IIRA 2019 est de passer résolument à la mise en œuvre de la ZLECAf tout en atténuant les effets secondaires néfastes tels que la baisse des recettes tarifaires, qui accompagne parfois les accords de libre-échange. 

Une fois entrée en vigueur, la ZLECAf représentera le plus grand bloc commercial au monde. Elle dispose d’un potentiel inexploité propre à assurer le développement du continent et à sortir des millions de personnes de la pauvreté s’il est accompagné de mesures d’atténuation.

Nos dernières recommandations portent sur la libre circulation des personnes et l’intégration macroéconomique. Les résultats présentés dans l’IIRA 2019 concernant ces dimensions sont certes plus satisfaisants que pour les trois dimensions abordées plus haut, mais la performance est loin d’être uniforme. Par exemple, l’Union du Maghreb arabe (UMA) n’a pas encore exploité le potentiel qu’offre une liberté accrue de circulation des personnes. Quant à l’intégration macroéconomique, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) et la Communauté des États de l’Afrique de l’Est (CAE) n’ont absolument aucun accord bilatéral d’investissement en vigueur. Pourtant, de nombreux documents soulignent l’importance de la mobilité de la main-d’œuvre et celle des investissements étrangers : le premier accélère l’innovation et réduit les coûts, tandis que le second est un impératif pour l’accroissement de la production et la mise en place d’infrastructures dans une région, ce qui ouvre la voie à une plus grande prospérité. 

La mobilité

S’agissant de la liberté de circulation, nous recommandons une plus large ouverture des visas, devant déboucher sur l’institution d’un régime d’accès sans visa pour les ressortissants africains et la mise en place d’un passeport africain, tel que prévu par le Protocole (de Kigali) sur la libre circulation des personnes de l’Union africaine. L’édition 2019 de l’Indice sur l’ouverture des visas en Afrique indique un taux record de 87 % d’États africains qui, soit améliorent leur score par rapport à l’Indice de 2018, soit le maintiennent, l’amélioration résultant principalement de l’adoption de visas électroniques et de visas à l’arrivée pour les ressortissants africains. Les CER d’Afrique peuvent néanmoins faire mieux, en recourant à un éventail d’options allant de l’octroi de visas de plusieurs années à un demandeur après étude de l’intéressé, à la création de blocs régionaux au sein desquels les visas seraient supprimés. Une plus grande coopération entre les CER en matière de liberté de circulation contribuera largement à l’intégration du continent.

Politiques macroéconomiques

Pour finir, les décideurs doivent à présent œuvrer à un accroissement réel des investissements à l’échelle régionale et continentale. Ils doivent harmoniser les plans d’action en vue de préserver la stabilité macroéconomique et ils doivent veiller au respect des accords conclus entre les communautés économiques régionales et à l’échelle du continent. Des systèmes d’alertes précoces devraient être mis en place pour assurer une meilleure gestion des chocs exogènes tels que les catastrophes naturelles ou la fuite de capitaux. 

« Contribuer à la transformation et à la croissance de l’Afrique »